logo

Audrey Bapt, Alexandre Boiron, Vincent Caroff et Juliette Jaffeux, Hermine Chanselme, Charlotte Durand, Chloé Grard, Pauline Lespielle, Johanna Medyk, Margot Monier, Maëlys Plagnès, Capucine Portal, Ophélie Raffier, Gaël Salefranque, Nino Spanu, Florent Terzaghi.

La nouvelle The Mist de Stephen King paraît aux États-Unis en 1980 et devient rapidement un classique de littérature fantastique et d’horreur. Elle met en scène la petite communauté de Bridgton, dans le Maine, après le passage d’une tempête. Le personnage principal, David Drayton, est peintre pour les studios de cinéma américains. Tandis que les habitant·es de Bridgton sont occupés à déblayer les ravages de la veille, un nouveau fléau, silencieux et à peine visible, s’abat sur elleux. La brume, puisque c’est son nom, s’avance à pas de velours et ne déclenche de prime abord aucune panique : elle est, après tout, un phénomène météorologique commun. Pourtant ses caractéristiques sont troublantes : elle semble mue par sa propre volonté et ignore le sens du vent. Elle brouille les transmissions radio. Lorsque les habitant·es s’affolent de cette étrange masse qui semble vouloir les engloutir, il est trop tard : la brume s’est immiscée partout, les entoure déjà, et de l’intérieur, elle est d’une épaisseur affolante. Elle impose sa réalité avec la cruauté implacable des manifestations naturelles.

Le récit suit ensuite un groupe de personnes isolé·es à l’intérieur du supermarché de Bridgton, et décrit avec acuité leur glissement de l’anxiété à l’angoisse, puis de l’angoisse à la terreur tandis que la brume se révèle être peuplée de monstres. L’isolement et la séparation avec leur proches gagnent petit à petit sur la sanité des protagonistes. Pourtant, elles et ils ne cessent de tenter, tant bien que mal, de s’organiser. Tandis que certain·es mettent sur pied une résistance aux créatures du dehors et aux menaces inconnues que la brume leur réserve, d’autres sombrent dans des spirales psychologiques et religieuses délétères qui les mèneront au pire. En cent-cinquante pages, The Mist aborde froidement la variété des réponses humaines aux situations de crise : courage, peur, désespoir, résilience, fanatisme, entraide et instinct grégaire, et peint avec détail une fresque psychologique à la hauteur des bouleversements que nous traversons collectivement depuis le printemps 2020.

Comme les habitant·es de Bridgton, nous faisons face au constat imparable que tout ce que nous tenons pour certain peut voler en éclats et révéler la fragilité du quotidien. Tout comme elles et eux, nous avons dû négocier avec la brume : en avançant à l’aveugle tandis qu’une menace silencieuse assiégeait nos sociabilités, nos lieux de vie et de travail, notre intimité même. Et cette négociation s’est parfois faite au détriment de notre santé mentale et physique. À l’image de nombreux corps sociaux mis à mal par la pandémie, la communauté estudiantine a pu éprouver la précarité d’un statut pourtant porté aux nues socialement. Comme souvent, les manquements de nos systèmes de solidarité et de redistribution ont été comblés par la mobilisation collective et l’activisme de quelques-un·es. Tandis que la brume s’éclaircit, elle laisse derrière elle des défis innombrables allant de la crise écologique aux combats contre les violences systémiques dont nos institutions sont les théâtres, et qui ne pouvaient souffrir du temps désormais perdu.

Pour cette promotion 2021 de l’ESACM, la tenue de cette exposition est en soi une opportunité qui ne semblait pas acquise il y a à peine quelques mois. Lorsque j’ai entamé mon compagnonnage avec elleux en janvier via des visioconférences instables et mornes, la question n’était pourtant pas celle de son éventualité. Elle se posait plutôt en ces termes : comment créer alors que le monde, et nous-même, sommes bouleversé·es? Comment saisir le temps légitime et nécessaire de la désorientation, de la perte de repère, du deuil même, tout en continuant à répondre aux impératifs de productivité qui sont ceux des créateur·rices et des auteur·rices? Quel est le degré de priorité des objets qui nous occupent et auxquels nous dédions notre énergie et notre temps, tandis que le quotidien est une montagne russe pathogène? En prenant le temps qui leur a été nécessaire pour peser l’engagement de leurs pratiques, en séparant ce qui devait perdurer de ce qui n’était plus important, ces étudiant·es ont affiné, comme nous tous, les lieux où iels investissent du sens.

Nous présentons leurs travaux aux Ateliers, vidés de leurs précédents occupant·es, qui ont eu la générosité de nous offrir l’opportunité d’investir à notre tour cet ancien magasin aux immenses vitrines dans la zone d’activités du Brézet. Fondé en 2012 par d’ancien·es étudiant·es de l’ESACM, ce lieu fait l’exemple des ressources qui portent le début des carrières artistiques : la collectivisation et la mutualisation des espaces et des moyens, le soutien des collectivités territoriales et des acteurs locaux, et enfin la nécessité d’initier des initiatives nouvelles. Grâce aux Ateliers, nous avons conçu une exposition où chacun·e peut montrer une pluralité de travaux, et par la même occasion, la diversité de sa pratique. Parce-que les années qui les attendent seront à n’en pas douter exaltantes et éprouvantes, et parce-que nous sommes tous·tes, en tant que travailleur·euses culturel·les, partie prenante des écosystèmes artistiques qui doivent mieux faire dans l’accompagnement et la reconnaissance professionnelle et économique des jeunes artistes, souhaitons-leur patience et détermination.

Nos pratiques en tant qu’artistes et auteur·rices nous offrent de constamment redéfinir leurs termes et leurs contextes, d’être multiples et complexes. Des qualités qui prouvent encore et toujours que la richesse du travail artistique est d’engager nos affects, nos percepts, et nos concepts pour tricoter constamment notre expérience au monde et à nous même. Je voudrais dire ici aux artistes de cette exposition le privilège qui a été le mien d’apprendre à mieux les connaître, eux et leurs travaux, durant cette année. Et les remercier d’avoir été présent·es, dans leurs certitudes mais aussi dans leurs doutes, malgré la brume.

Thomas Conchou est curateur, co-fondateur du collectif curatorial Le Syndicat Magnifique, membre du collectif Curatorial Hotline et médiateur agréé par la Fondation de France pour la mise en place de l'action Nouveaux commanditaires. En 2020, il entre en résidence en tant que curateur au centre d'art de la Maison populaire de Montreuil, une association d'éducation populaire et de pratique amateur où il conduit un cycle d'expositions et d'évènements de deux années sur les pratiques artistiques et les relationnalités queer. En 2021, il est également rapporteur pour le prix AWARE où il présente la pratique de Gaëlle Choisne, lauréate. En 2022, il rejoint le jury du prix pour les artistes queer Utopi·e et le comité de sélection du Salon de Montrouge. Il est lauréat de la bourse d’écriture Textwork de la Fondation d’Entreprise Pernod Ricard, et prépare des expositions à Sissi Club, Marseille et au CAC Brétigny en Île-de-France. 

Audrey Bapt, Alexandre Boiron, Vincent Caroff et Juliette Jaffeux, Hermine Chanselme, Charlotte Durand, Chloé Grard, Pauline Lespielle, Johanna Medyk, Margot Monier, Maëlys Plagnès, Capucine Portal, Ophélie Raffier, Gaël Salefranque, Nino Spanu, Florent Terzaghi.

Stephen King’s novella The Mist was published in the United States in 1980 and soon became a classic of horror and fantasy literature. It is set in the small community of Bridgton, in Maine, after a storm. The main character, David Drayton, is a painter at art studios for American movies. While the residents of Bridgton are busy clearing away the damage from the day before, a new blight – silent and barely visible – befalls them. The mist (as this is what this curse consists of) rolls surreptitiously in and does not at first seem to trigger any panic: it is, after all, a common meteorological phenomenon. However, its characteristics are troubling: it seems to shift according to its own whims and ignores the wind direction. It garbles radio broadcasts. By the time the residents start panicking about this strange mass that seems to want to engulf them, it’s too late: the mist has infiltrated everywhere, already surrounding them, and once inside it, its density is terrifying. It imposes its reality with the cruel relentlessness of natural phenomena. 

The story then follows a group of people isolated inside the Bridgton supermarket, and keenly describes their shift from anxiety to fear, then from fear to terror, as the mist turns out to be populated by monsters. The isolation and separation from their loved ones gradually encroaches on the sanity of the protagonists. They nevertheless constantly try to organise themselves, with mixed results. While some establish a resistance to the creatures outside and the unknown threats that the mist has in store for them, others sink into noxious psychological and religious spirals that lead to their demise. In one-hundred and fifty pages, The Mist coolly examines a range of human responses to situations of crisis – courage, fear, despair, resilience, fanaticism, cooperation, or a gregarious spirit – and depicts this psychological panorama in detail, on a par with the upheavals that we have been collectively experiencing since spring 2020. 

Like the residents of Bridgton, we face the unprecedented observation that everything that we hold certain can suddenly explode and reveal the fragility of daily life. Just like them, we have had to negotiate with the mist: advancing blindly while a silent threat attacks our sociability, our homes and workplaces, our very intimacy. And this negotiation has sometimes been undertaken to the detriment of our mental and physical health. Like many social bodies problematised by the pandemic, the student community has experienced the precariousness of a status that is usually the pinnacle of social life. As is often the case, the gaps in our systems of solidarity and redistribution have been filled by the collective mobilisation and activism of a few. As the mist lifts, it leaves behind countless challenges, ranging from the environmental crisis to struggles against the systemic violence for which our institutions are the theatres, and which could not have suffered from the time now lost. 

For this 2021 ESCAM year-group, holding this exhibition is in itself an opportunity that didn’t seem straightforward just a few months ago. When I started my accompaniment of the students last January via unstable and depressing video conferences, the question was not, however, whether or not it would happen. It was posed more in these terms: how do we create when the world, and ourselves, are undergoing massive change? How do we take the legitimate and necessary time for such disorientation, loss of bearings, or even grief, while continuing to respond to the imperatives of productivity that are those of artists and authors? What is the degree of priority of the subjects that occupy us and to which we dedicate our energy and time, while daily life is a pathogenic rollercoaster? By taking the time required for them to weigh up the commitment of their practices, by separating what ought to be sustained from what was no longer important, these students refined – as we all did – the areas in which they were investing meaning. 

We are presenting their work at the Ateliers, emptied of its previous occupants, who had the generosity to offer us our chance to occupy this old shop, with its huge windows, in the industrial area of Brézet. Founded in 2012 by former students of the ESCAM, this place is an example of resources that launch art careers: pooling of spaces and means, support from regional bodies and local stakeholders, and finally, the need to spark new initiatives. Thanks to the Ateliers, we have designed an exhibition where everyone can show a plurality of works, and by the same token, the diversity of their practices. Since the coming years will most certainly be exciting and challenging, and because we are all, as cultural workers, a part of the artistic ecosystems that must do better in terms of the professional and economic guidance and recognition of young artists, let’s wish them patience and determination.

Our practices as artists and authors offer us the chance to constantly redefine their terms and contexts, diversifying and complexifying these. Qualities that prove again – as ever – that the wealth of artistic endeavour is that of engaging our emotions, perceptions, and concepts, so as to constantly weave together our experiences of the world and ourselves. I would like to express here to the artists of this exhibition just how privileged I feel to have learned to get to know them and their work better over the course of this year. I’d also like to thank them for being present, in their certainties but also their doubts, despite the mist.